Wednesday, August 29, 2007

HUMANITÉ

J’étais là, à siroter du clou de cercueil et à admirer les souris qui s’étalaient devant mes mirettes. Mon copain « Sonny» se la jouait désert de Gobi et faisait pâlir mon bon vieux feutre mou, fidèle voile de mon anonymat.
Chers lecteurs, mes petits poussins adorés, vous devez oublier votre situation tranquignolette et vous placez dans la mienne de situation. Mon boulot, c’est de distribuer des asticots, alors je turbine de nuit. Quand j’ai l’occase de bosser comme oiseau de jour, je me permets de jouer au fonctionnaire et je m’octroie d’office une pause à midi tapant, l’heure où le soleil raccourcit les jupons.
Today, mon job c’est de faire cracher le morceau à un zigoto. Comme la planque est peinarde, je peux le cuisiner à n’importe quelle heure du jour. Et me voilà qui profite de la chaleureuse attention de « Sonny». Cependant, trimer de jour est un bénéfice marginal assez négligeable because que le poireau est un coriace. Le genre qui a le claque merde cadenassé à double tour. Si Bibi veut le faire cracher, il doit prendre des détours en forme de barre à clou.
La clopinette à tirée sa dernière bouffée de goudron. Pour Bibi, c’est l’heure de se faire aller la turbine et de raboter le bientôt buriné. Je remonte à la planque quatre à quatre because que j’ai les menottes qui ont la bougeotte. Le soleil du printemps, ça me donne envie de brûler les étapes.
La planque où j’entrepose mon conneau fait dans les deux cents pieds carrés, les murs sont recouverts de matelas puceronnés et les fenêtres sont placardées avec des planches. Le sol est recouvert de prélarts dont les motifs sont déformés par les brûlures de cigarettes. C’est pas très convivial, mais c’est discret. Les sommiers, c’est l’idéal pour réduire l’écho des cris et ça, c’est omniprésent dans mon monde.
Le gus n’a pas bougé, normal il est ligoté comme un saucisson. Ça sent déjà la charcuterie. Il transpire tellement qu’on le croirait badigeonné, fin prêt pour la cuisson. Malheureusement, j’ai pas fini de le cuisiner. C’est une semelle de botte qui aurait grand besoin d’être attendrie. Il me regarde avec ses yeux boursouflés et je sais une chose, il me hait. Ça, c’est pas très bon pour les affaires, si je veux qu’il crache le morceau, il doit mourir de trouille et non me haïr à en crever. Mal barré comme je suis avec ce guignol, je suis foutu de le faire clamser avant même qu’il se mette à table.
Ce qui est dur pour l’honneur, c’est que je suis un des fleurons de ma profession. J’ai été, comme dirait l’autre, formé par le meilleur. Ce poète moderne aurait su s’y prendre lui. Alors moi, l’élève qui a dépassé le maître, pourquoi ça ne fonctionne pas…
— Alice, si tu crois que je vais l’ouvrir pour tes beaux yeux… tu peux toujours courir.
Ma menotte prend la parole et lui sert un flush. Je déteste l’évocation de mon nom. Alice, ça baisse le « standing ».
— Si tu me ressers mon blaze, je tache ton blazer, pigé?
Le pauvre type léchait le bord de sa lèvre empourprée. À travers ses lampées, il trouva de bon ton de me relancer.
— Où sont les étoiles Alice? Je ne vois toujours pas ton pays des merveilles? Tu peux me servir ton flush royal comme tu veux, mais plus tu m’esquintes, plus je perds ma capacité de chanter… c’est pas bon pour le « business » ça.
L’avait pas tors le gars, je m’étais ramolli. Comme un seul homme, je calfeutrai la bouche du type, je débouchai une bouteille de whisky et prit place devant la fenêtre.
— Tu sais, les choses changent sans qu’on s’en aperçoive, y ’a pas dix ans de ça, y ’avait un tramway et deux fois moins de voitures…Si l’on regardait exactement d’ici, on avait une perspective différente. Because quoi que Bibi sait cela, parce que j’y étais, c’est ici même que j’ai eu ma première formation de gros méchant loup, avec Ted le « Poète ». C’est le type le plus étrange qu’il m’ait été donné de connaître. Il était du genre contradictoire. Sa pensée était en parfaite opposition avec ses actes. Pourtant, il cohabitait avec lui-même.


***


C’était un après-midi de pluie, la pièce sentait de transpiration, les matelas fixés aux murs témoignaient de la répétition de cette scène par leur moiteur continuelle. Un jeune garçon était encastré dans l’ombre, il était attentif aux moindres gestes d’un homme qui se tenait face à lui. Il retira sa casquette de laine.
— Hep, le kid, fais jamais ça! Ne retire jamais ton couvre-chef! Remets ça de suite.
— Pourquoi monsieur? Répondit le garçon d’une voix assurée.
L’homme sourit à l’éloquence du jeune garçon.
— Primo, la transpiration risque de te tomber dans les yeux. Si tu t’essuies les yeux, on percevra ce geste comme un signe de fatigue, l’autre aura l’impression qu’il gagne du terrain, ça lui donnera du courage et tu risques d’y passer la nuit…Et quelle est la règle numéro un?
Le garçon exécute un pas vers l’avant et se met à réciter :
— Choisir le chemin le plus court, faire vite. Moins c’est long, plus c’est rentable.
— Bien petit. Un de ces quatre, c’est toi qui prendras ma relève…
Sur ce, l’homme décocha un crochet au visage du séquestré, qui était ficelé à une chaise. Le coup n’était pas puissant, mais sec et rapide.
— Viens là, petit. tu as mérité ta première castagne, viens me rejoindre.
Le garçon s’exécuta. L’homme se plaça derrière lui et lui donna quelques indications.
— Maintenant, frappe-le, n’oublie pas ce que je t’ai appris. Un coup sec, tu ne dois pas te tordre le poignet et il ne doit pas avoir mal. Surprends-le. Il doit être constamment sur la défensive, ça épuise… ce sont ses nerfs que tu dois travailler, non sa peau. Pourquoi?
— Parce qu’un gentleman ne se salit jamais.
L’homme passa sa main dans les cheveux du garçon.
— Va maintenant.
D’un air assuré, le garçon se positionna. Son regard était froid, insensible. Cette qualité, il la tenait des rues poisseuses où il avait grandi, et de son père, battant sa mère avec une ceinture lorsqu’il avait joué aux courses toute sa solde d’ouvrier. il la tenait aussi du marchand de légumes qui lui bottait le train lorsqu’il tentait de se servir dans son étalage pour compenser son repas jeté à l’hippodrome et des gamins de son voisinage se vengeant à leur tour de leurs parents indifférents. La crise économique avait fait son bonhomme de chemin en établissant une règle des plus simple ; celle du plus fort. Aussi le garçon ne sourcilla point lorsque sa petite main heurta le visage de l’homme au niveau de l’arcade. La victime était épouvantée. On pouvait lire la détresse que ses yeux communiquaient. Le jeunot la perçut et s’adressa à son professeur tout en dévisageant le gibier de potence.
— Ted, avec les yeux qu’il a, je crois qu’il est prêt à ouvrir sa boîte à musique.
— T’es un petit vite, toi. Mais aujourd’hui, c’est pas ça qui nous intéresse, c’est une formation officielle que tu reçois, on n’a rien à branler de cézigue. Il n’a rien d’important à dire. Pas vrai, ducon?
Les yeux de l’homme coulaient comme rivière. De toute évidence, cet homme commit l’erreur d’arpenter la mauvaise ruelle.
— Il est innocent? s’exclama le gamin.
— Personne n’est innocent, cet homme, comme tout être humain a sûrement une bricole ou deux à se reprocher. On peut lui faire cracher le morceau… si tu veux t’en convaincre.
— Non, ça va! Répondit le gamin en se donnant l’air d’avoir beaucoup d’hivers sous le chapeau. L’épicier qui demeure en face de chez moi se la joue « mari parfait », mais il couche avec ma petite voisine de palier.
Sur ce, le garçon décocha un coup au ventre de l’homme et fit un sourire d’enfant modèle à Ted, qui fut réduit au silence par l’émotion. Il se tourna et fit signe à son acolyte de le suivre dans la pièce voisine. Devant la fenêtre, il s’alluma une cigarette. Il avait le regard fuyant. Le garçon vint se placer devant lui, en attente d’une main sur l’épaule. Celui-ci savait qu’il devait regarder dans la même direction que son mentor afin de ne pas voir la larme qui lui glissait sur la peau des joues
— Regarde! Dit Ted.-Voit comme cette ville est belle, elle déborde d’énergie. Sens-tu la fébrilité?
— Pour moi, c’est comme une décharge.
La main de Ted se posa sur l’épaule du petit garçon qui frémit, tant elle était ferme.
— Alice, si tu veux bien faire les choses, être un homme. Tu ne dois jamais oublier ce que tu fais. Tout ça ne doit jamais devenir un « travail ». Tu dois le faire avec passion, prendre la mesure des choses… à chaque instant.
Sans se retourner, Alice demanda à Ted :
— Je ne comprends pas?
— Tu ne trouves pas que la vie est formidable petit?
— C’est la pire chose qui m’est arrivée, c’est dur, tout le monde veut me faire mal. Les gens me détestent, mon père, ma mère… mes amis.
— Peut-être ont-ils seulement peur de toi… mais ce n’est pas de ça que je cause. Tu regardes avec tes yeux, regarde avec tes tripes. Fais attention, tu es en train de maudire le plus beau cadeau que l’on ne t’a fait. Rage après la façon que les gens vivent dans notre société comme tu voudras, mais ne méprises jamais le fait d’être là pour le constater, ou ce que tu es : des os, des muscles, un coeur et un esprit qui respire et se meut. Regarde ce rayon de soleil qui chauffe cette vieille table, ne sens-tu pas la chaleur, ne vois-tu pas la beauté étincelante du bois… n’as-tu jamais rêvé d’ouvrir les bras et d’embrasser la fébrilité du souffle continue de l’existence. Vois hors de toi toutes les merveilleuses choses qui existent et cohabitent dans un enchevêtrement parfait. Regarde cet homme, une femme l’a porté pendant presque une année en elle. Peu à peu, des organismes se sont greffés ensemble de sorte qu’il devienne une forme de vie autonome. On a ensuite veillé à ce qu’il grandisse, qu’il apprenne des choses, ses parents voulaient le voir revenir de l’école, son sac rebondissant sur ses épaules, le sourire aux lèvres débordant de nouvelles préoccupations. Sens toutes ses passions qui s’animent. Alice hoqueta, serra les dents et partit à la course vers le détenu.
— Pourquoi je n’ai pas eu le droit de revenir de l’école avec le sourire aux lèvres!
Il frappa l’homme qui pleurait à l’évocation de son enfance. Plus Alice avait les yeux mouillés, plus il frappait, plus l’homme pleurait. Un grondement figea, le garçon en pleure.
— Sois un homme! Alice!
Le garçon fut saisi par le collet et surélevé du sol.
— Qu'est-ce que tu es? as-tu oublié ton nom?
Les yeux d’Alice parlaient de surprise.
— Es-tu un homme ou une bête? Alice!
Ted déposa Alice au sol lorsque celui-ci cessa de se débattre. Ted commença à faire les cent pas devant le gamin.
-Jamais un homme ne leve la main sur un autre par envie! jamais un homme ne saurais penser à lui avant les autres! Jamais un homme ne sait voir en lui les qualités qui l’habitent avant de regarder et de maudire celles des autres… être un homme, ça se mérite…
Ted se pencha et mit ses yeux dans les yeux du gamin.
— Si tu veux te considérer comme un citoyen de la grande nation de l’humanité, tu dois le mériter.
Alice se retourna vers l’homme attaché don le bâillon ne faisait qu’assourdir les sanglots.
— Monsieur, pardonnez mes enfantillages, promis, je ne le referai plus.
— Tu as fait une promesse. Dis Ted. Souviens-t’en et respecte-la.
Le petit garçon se retourna vers Ted. Il le dévisagea longtemps avant d’ouvrir la bouche.
— Ted, quand tu pleures, c’est parce que tu vas tuer un homme? Est-ce que c’est pour ça que l’on t’appelle « Ted le Poète »?
— Tu vas bientôt comprendre que nous vivons dans ce monde parallèle parce que nous n’avons pas notre place ailleurs, chacun à ses raisons : pauvreté, fragilité, incompatibilité… toutes les raisons sont bonnes. Je te prie de me croire, les gens qui habitent ce microcosme ne sont pas forcément mieux que les autres. Cependant, entre exclus, on cherche à se regrouper alors on se juge moins. Mais où que tu ailles, tu dois avant tout avoir une ligne de pensée, c’est elle qui te portera. Si tu vis assez longtemps, ce monde te rendra peut-être riche. Sache que pour beaucoup d’entre nous, être riche c’est arrêter de faire des compromis envers les autres…
— C’est vrai que si j’étais riche, je quitterais la maison et plus personne de mon quartier n’oserait faire autre chose que des courbettes pour être mes amis.
— Serais-tu heureux pour autant? Au moment de ta mort, aurais-tu l’impression d’avoir embrassé la vie?
Les trois têtes regardèrent au sol, puis d’un commun accord levèrent les yeux vers le plafond.
— Ted. Je sais pourquoi tu pleures à chaque fois. J’espère être capable d’en faire autant, un jour, moi aussi je veux être un homme.
Alice se dirigea vers la table, ramassa le rasoir et repartit pour s’installer en face de l’homme, il le scruta longuement. Le ligoté était incapable de soutenir le regard du garçon aux aires de chirurgien. Au bout d’une dizaine de minutes, la lame s’approcha du corps de la victime et trancha les liens de l’homme, encore paralysé. Alice prit la parole.
— Ne déçois pas Bibi, parce que je te jure que je ne diluerai pas ton sang avec mes larmes. File!
Le regard des deux hommes suivait le départ du troisième.
— J’en apprendrai tous les jours. Dit-Ted pantoit.
— Ted, j’ai droit à une glace ou mon nom c’est pas Bibi…


***


Sans m’en apercevoir, j’étais « encalifourchonné » sur une chaise devant mon patient. Mon feu était en complète érection et mes mains d’artiste voulaient pianoter de la gâchette. Le zigoto n’avait pas compris l’aparté savoureusement conté. Je lui arrachai le pansement buccal afin d’entendre son solfège.
— Arrête! Alice. Tu vas me faire pleurer toi et ton lapin blanc.
Le Poète avait pas tors, le petit monde interlope a son lot de lopettes. C’est affligeant quand même, être assez confortable pour entretenir un double menton et ne pas avoir essayé de prendre du temps libre pour autre chose que se goinfrer. Pauvre petit poucet qui n’a pas retrouvé ses cailloux. Je vous le dis mes fidèles mes très chers, y ’a qu’un Bibi comme moi pour avoir la voix nouée par un sanglot aussi tenaillant que celui-ci.
Je ne peux plus en placer une, mes paupières se contractent, j’ai un bourdonnement dans les esgourdes et je sens une perle qui submerge mes pattes d’oie et glisse le long de ma joue qui houle, entraînée qu’elle est par mon muscle de mâchoire. Le guignol prend une allure de pierrot la lune. Là, il a pigé que chaque seconde qui se présente à lui doit être savouré parce qu’elles ne sétenderont pas à infini. Dès qu’il tente de l’ouvrir, la crosse de mon pétard le discipline.
— Y ’a rien de mieux qu’un échec pour se remettre les idées en place. Ça je te le dois… merci lapin.
Je lui fis bouffer le bout de mon canon, je ne voulais plus rien entendre.
— Cette larme, c’est pour ta mère. Pour toute l’affliction qu’elle portera sur ses épaules lorsqu’elle se penchera sur ta tombe. Pour une mamie, Y ’à rien de pire que le cadeau que je vais lui faire…
Je lui pique un clin d’oeil façon « cinoche ». Je libère ma joue de la larme qui se dissout dans une flaque de sang à nos pieds. Maintenant, je libère le rouge…

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